
Décès de Jacques Malbos
Lundi 11 septembre 2023
Celles et ceux qui fréquentent la haute montagne, sportifs amateurs ou professionnels, habitants vivant à proximité, voient bien qu'elle traverse depuis deux ou trois décennies une période critique. Ces hautes terres nous paraissaient immuables, ou susceptibles d'évoluer à l'échelle des temps séculaires, et pourtant elles changent sous nos yeux à grande vitesse, et sans doute de façon irréversible. Les glaciers reculent partout, les parois glaciaires donnent en été une image de plus en plus dégradée, l'accès à certains sommets et aux refuges devient compliqué voire dangereux, les écroulements rocheux sont plus fréquents et emportent avec eux des voies emblématiques. Les conditions d'enneigement deviennent versatiles et le manteau neigeux disparaît au printemps trois semaines en moyenne plus tôt que dans les années 1960-1970. Et les choses ne sont pas prêtes à s'améliorer ! Car cette évolution est associée à un réchauffement climatique qui touche la planète toute entière et qui est causé par les émissions humaines de gaz à effet de serre s'accumulant dans l'atmosphère depuis plus d'un siècle. Une majorité de ceux qui fréquentent la haute montagne le sait et s'interroge, inquiète, sur le futur de ce territoire. Dans le même temps, les pratiques sportives évoluent, se diversifient, la fréquentation continue à augmenter sur certains « spots » emblématiques, tandis que d'autres secteurs sont délaissés, de nouvelles disciplines, comme le trail, apportent avec elles un esprit de compétition dont on peut se demander s'il ne pousse pas vers une déconnexion d'avec la nature environnante. La culture de la montagne, autrefois transmise par un long apprentissage via les compagnons de cordée, les clubs ou les écoles d'alpinisme, passe de plus en plus par les informations transmises par des manuels ou des sites internet, et l'on peut douter que ceux qui ne disposent que de ce moyen pour s'initier acquièrent un jour une véritable autonomie dans leur pratique de l'alpinisme. En forçant le trait, on peut dire que l'alpinisme tend à se « massifier » en négligeant ce qui permettait de l'élever au rang d'une culture. Dans ce contexte nouveau, à quoi peut servir le Comité scientifique d'un grand club de montagne ?
Sans doute, à continuer, comme il l'a toujours fait, à considérer la haute montagne comme un territoire d'exploration et de découverte ! L'approche scientifique permet aussi d'acquérir une connaissance plus robuste du milieu physique et des mécanismes qui contrôlent son évolution, d'améliorer la gestion de l'effort à la lumière des nouvelles connaissances acquises en médecine du sport et dans les nouvelles techniques de gestuelle sportive. Le scientifique se sent également concerné par les nouveaux outils permettant d'améliorer l'autonomie et la sécurité des alpinistes, par la mise en valeur d'un récit historique dont la haute montagne a été depuis des générations le ferment et le réceptacle, chez nous, sociétés occidentales, mais aussi chez les peuples montagnards traditionnels où les hauts sommets restent auréolés d'une dimension symbolique et transcendantale. Cette approche va dans le sens de l'alliance très tôt scellée entre la science et l'alpinisme, elle en constitue le prolongement naturel.
Cependant, il est devenu essentiel de nos jours de communiquer ce savoir au plus grand nombre. C'est notre responsabilité. Le Comité scientifique doit être une passerelle entre la « science dure », celle dont les « journals » spécialisés se font l'écho, et celles et ceux qui aiment la montagne pour ce qu'elle est et qui en sont curieux. Nous devons faire entendre notre voix dans les revues de montagne afin d'y faire passer un message, nous faisons l'effort de disposer d'un site internet attractif et constamment actualisé. Et loin de rester dans notre tour d'ivoire, nous devons aller vers les autres outils de communication que sont les documentaires de télévision, les conférences et les interventions auprès des jeunes, dont les scolaires. Je suis sûr que c'est là une des clés pour ré-enchanter ce territoire de la haute montagne aujourd'hui bien malmené...
Le Président du Comité Scientifique de la FFCAM
Bernard FRANCOU
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