Les Actus du Comité Scientifique

De la chimie de la lave à la structure des réservoirs magmatiques en Islande

Le cycle éruptif qui a démarré en 2020 dans la péninsule de Reykjanes en Islande, après plus de huit siècles d'inactivité est une source remarquable d'informations sur la structure des poches magmatiques dans la croute terrestre. Les premiers signaux du réveil de l'activité volcanique ont été marqués par un essaim de séismes près de la centrale géothermale de Svartsengi (à côté du fameux Blue Lagoon). En mars 2021, un dyke émergea dans le secteur du Fagradasfjall, et l'éruption dura plus de six mois. Le comité scientifique est allé suivre en août 2021 cette extraordinaire éruption, ramenant à cette occasion un film sur celle-ci prise depuis un drône que l'on peut visionner en cliquant ici. Après une courte pause, le processus éruptif reprit un peu plus au Nord, vers le sommet pointu du Keilir, mais de plus courte durée. Un nouvel épisode termina le cycle au Fagradasfjall, bien que les signaux GPS indiquaient sans ambigüité le retour d'une déformation importante du sol vers Svartsengi. L'activité volcanique n'était donc aucunement terminée.

Fin 2023, les autorités islandaises indiquaient que le retour d'une éruption était imminent, dans le secteur Sundhnuksgigar, au nord du petit village de pêcheur de Grindavik où le Comité Scientifique allait reprendre des forces en 2021. D'importants séismes, suivis de l'apparition de nombreuses et profondes crevasses dans le coeur même du village conduisirent à son évacuation, tandis que fin décembre 2023 une première éruption commençait. Depuis les éruptions fissurales se sont succédées, sur plusieurs kilomètres, et la plupart du temps, malgré un début souvent marqué par de spectaculaires fontaines de laves de plusieurs dizaines de mètres de haut, elles ne durèrent pas longtemps, quelques jours au plus, à l'exception de l'éruption de mars 2024. A chaque éruption, le signal GPS indiquant une élévation du sol, de plusieurs centimètres, chutait brutalement, avant de reprendre son inexorable montée. Actuellement, le cycle éruptif n'est pas terminée, et une éruption prochaine est à envisager au vu de la recharge du réservoir magmatique près de la centre de Svartsengi.

La modélisation du cycle éruptif que l'on peut suivre sur le site de la Météo Islandaise (voir le lien de l'actu) est remarquable de précision, quant à la localisation du dyke. Cependant, les scientifiques se sont interrogés sur la structure du ou même des réservoirs magmatiques en jeu. A-t-on affaire à une structure simple, en ligne directe avec un réservoir situé très profondément dans le Moho qui est la limite inférieure de la croute continentale? La chimie des laves produites apporte des réponses intéressantes sur cette question, permettant de préciser un domaine des sciences encore largement méconnu, et d'aider également à la modélisation des éruptions, dont l'importance est cruciale pour gérer les conséquences sur la population locale.

Avec l'article en référence, les chercheurs ont montré que plusieurs réservoirs étaient en jeu, très profonds à la limite du Moho pour les éruptions du Fagradasfjall, avec une constance de la chimie de la lave émise d'une éruption à l'autre. La situation est bien plus complexe pour le second cycle dans le secteur Sundhnuksgigar. D'abord, les réservoirs magmatiques semblent moins profonds, situés dans la croute terrestre. La présence de cristaux qui semblent en équilibre avec la matrice suggère qu'un refroidissement de la lave est en cours. Pour les éruptions de décembre 2023 et janvier 2024, le magma semble venir de deux poches distinctes, avant de se mélanger dans une poche unique juste avant l'éruption. L'hétérogénéité chimique des deux éruptions suggèrent également qu'elles n'ont pas été alimentées par un seul réservoir s'homogénéisant avec le temps. Ce n'est pas le cas pour l'éruption de février 2024, en raison de la faible variabilité du rapport K2O/TiO2. L'éruption de mars 2024 a été marquée par un retour de l'hétérogénéité chimique. Les observations des quatre éruptions semblent indiquer qu'au minimum deux réservoirs magmatiques sont en jeu, contribuant aux éruptions presque simultanément ! Ces analyses géochimiques sont confortées par la différence des signaux géodétiques avant et après novembre 2023. Il semblerait que la deflation soit mieux modélisée par une source sphérique résultant d'une extraction du magma de plusieurs sous-réservoirs à différentes profondeurs. L'apparition du dyke ne serait pas la résultante d'une surpression locale de la chambre magmatique proche de la surface, mais d'un stress tectonique. Cette observation est unique pour l'Islande. A noter que l'hétérogénéité chimique est rare pour les basaltes, très fluides, et plus fréquenqutes pour les laves plus visqueuses contenant plus de silice.

Une étude passionnante qui montre la complexité des processus éruptifs derrière une relative apparence de simplicité.

 


Cliquer ici pour télécharger Publication en anglais : S. W. Matthews et al., Science


Cliquer ici pour accéder au lien de l'actu.




Actu proposée par Yves SAVOYE-PEYSSON

Mise en ligne le jeudi 03 octobre 2024 à 21:26:56

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